Le songe de Charlemagne

 

 

 

Le sanglier venait d'être blessé. Rendu furieux, il poussa un hurlement et fit face à son agresseur.

Celui-ci se crut perdu : il était seul dans la forêt, personne ne pouvait lui porter secours. Déjà, il croyait sentir les dents de l'animal se refermer sur lui.

Allait-il mourir ainsi, sottement, devant un sanglier, alors que dans les nombreux combats qu'il avait livrés contre les hommes, il avait toujours eu le dessus ?

Au moment où la bête allait se précipiter sur lui, le chasseur aperçut, sur le sol, un petit enfant nu.

Un enfant ou un ange ? Il ne savait pas, il n'avait guère le temps de se poser la question. Quoi qu'il en soit, ce ne pouvait être qu'un envoyé de Dieu.

•  Aide-moi, je t'en conjure.

•  Je m'appelle Cyr, et je veux bien t'aider, répondit le petit. Mais il faut me faire une promesse : je veux un vêtement pour me couvrir, car, tu le vois, je suis nu.

Chose étrange, le sanglier s'était arrêté : il se contentait de gronder et de secouer sa hure.

•  Je promets, dit le chasseur.

Aussitôt, l'enfant monta sur le dos du sanglier et il le tint immobile. Le chasseur se précipita et donna à la bête le coup fatal.

 

Charles s'éveilla, couvert de sueur. Quel rêve ! Quel cauchemar ! Un cauchemar qui s'était quand même bien terminé, grâce à cet enfant, à cet ange, ce ne pouvait être qu'un ange, du nom de Cyr.

•  Qu'est-ce-que cela peut bien vouloir dire ? se demandait-il.

Il était étonné, et, davantage encore, mortifié de ne pas comprendre. Pourtant, il était le maître, il régnait sur un immense territoire s'étendant à l'Elbe à l'Ebre, il avait été couronné empereur par le pape lui-même. Et, lui que l'on appelait Charles le Grand, Charlemagne, il demeurait incapable de savoir ce que ce songe signifiait. Comment pourrait-il tenir sa promesse ? Comment pourrait-il vêtir le petit enfant tout nu ?

Pendant plusieurs jours, il posa ces questions aux membres de son entourage, à ses ministres, à ses conseillers : aucun ne fut en mesure de lui donner la moindre explication.

Il eut alors l'idée de convoquer tous les évêques de son Empire. Eux, au moins, sauraient. Car eux, ils étaient en rapport avec Dieu.

Ils accoururent tous, de France, d'Espagne, de Lombardie, de Bavière, de Saxe, du Jutland, de Hongrie. Tous étaient arrivés à cheval, à l'exception d'un seul, qui s'appelait Jérôme et qui venait de France, plus précisément de la ville de Nevers. Il était monté sur un âne, car il était trop pauvre pour s'acheter un cheval : tout l'argent qu'il avait, il le donnait aux indigents.

Assis sur un trône surélevé et placé sous un dais écarlate, vêtu d'un ample costume bleu rehaussé d'or, la couronne impériale sur la tête, Charlemagne, de sa voix puissante qui parvenait sans peine jusqu'au fond de l'immense salle, remercia les prélats venus de si loin à son appel.

•  J'ai besoin de vos lumières, dit-il.

Il raconta dans le détail le rêve qu'il avait fait quelque temps auparavant et demanda aux évêques quelle en était, selon eux, la signification.

Beaucoup demeurèrent cois. D'autres, désireux sans doute de se faire remarquer de l'empereur, donnèrent des réponses assez fantaisistes qui n'eurent d'autre résultat que de déchaîner des rires dans l'assistance. Charlemagne, lui, commençait à s'irriter, lorsque Jérôme, qui était demeuré silencieux depuis le début, demanda :

•  Vous avez bien dit, Seigneur, que l'ange s'appelait Cyr ?

•  Cyr, en effet : c'est le nom qu'il m'a donné.

•  Eh bien, Cyr est un de nos saints martyrs. Il est le fils de sainte Julitte, également martyrisée. Dans ma ville de Nevers, il est honoré dans un tout petit édifice, et il aimerait, je pense, qu'on lui consacre une basilique, voire, pourquoi pas, une cathédrale ?

Le visage de Charlemagne se dérida, et il félicita Jérôme de sa réponse fort pertinente. Puisqu'il en était ainsi, puisque saint Cyr réclamait un sanctuaire plus grand, on ferait droit à son désir. L'Eglise de Nevers se verrait dotée de trois châtellenies à Urzy, Précy et Prémery.

Jérôme regagna son diocèse des bords de Loire. Avec le revenu des châtellenies, il fit bâtir une cathédrale qui fut, en grande pompe, dédiée à saint Cyr et à sainte Julitte.

 

 

Quelques siècles plus tard, elle fut remplacée par une autre puis, plus tard encore, par celle que l'on voit aujourd'hui, et qui, entre parenthèses, offre la particularité de posséder deux absides, l'une romane et l'autre gothique.

La cathédrale de Nevers a conservé des souvenirs marquants de cette légende : on trouve le sanglier de Cyr sculpté au-dessus de l'abside romane, et à nouveau sur des pipiers intérieurs.

Et, dans un village de la Nièvre, Saint-Saulge, un vitrail de l'église raconte aussi, en images, le songe de l'empereur Charlemagne.

 

Visiter: le Sanglier de A à Z . Site tenu par un Nivernais.

 

Conte de Nuits-Amont pendant la veillée. Emile Bergeret.

 

 

 

 

 


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