Conte de Narvaü

 

 

Le Saivan Le savant
Ma dizé don, Nanon Mais dites donc, Nanon,
Vâ qu'vo z'alé don? Où donc allez-vous?
Vo m'ai bé l'ar d'aivoi lai frousse, Vous m'avez bien l'air d'avoir la frousse,
Ca don le diâle que vo pousse? C'est donc le diable qui vous pousse?
Nanon Anne
Y m'en vai dénonçay not'Dodo. Je m'en vais déclarer notre Dodo.
Le Saivan Le Savant
Qu'â qu'el ai don pu fâre? Qu'est-ce-qu'il a donc pu faire
El aitô potan bé dan sé z'aifâre. Il était pourtant bien dans ses affaires.
Nanon Anne
Ma mon preüve home a mo. Mais mon pauvre homme est mort.
Le Saivan Le Savant
El a mo! Ma d'qué mailaidie? Il est mort! Mais de quelle maladie?
Nanon Anne
Ma d'eine estreupizie. Mais d'une hydropisie.
J'airô du m'en doutay. J'aurais dû m'en douter.
Hié, dan lai mait'née, Hier, dans la matinée,
Lai creussane ai criai, La chouette a crié
Su not' chenevée Sur notre cheminée,
Ai l'eure de meneü. A l'heure de minuit.
Auto du cemeteîre, Autour du cimetière
Y ai vu dé quela, dé lemeîre, J'ai vu des éclats, des lumières,
Que reluzeîn queman du feü. Qui luisaient comme du feu.
C'aitô l'âme d'lai gran meire, C'était l'âme de la grand-mère
Quaimandan dé prieire, Demandant des prières,
Quasiman po bé m'évâti Quasiment pour bien m'avertir.
Que j'alô paidre mon mairi. Que j'allais perdre mon mari.
Alé, quan méidi seune, Allez, quand midi sonne
Ai deu cloiche ai lai foî, Les deux cloches à la fois,
An peu s'étanre ai voî On peut s'attendre à voir
Ein mo dan lai semeune... Un mort dans la semaine.
Et peu v'lai bé vu jo Et puis voilà bien huit jours
Qu'not Gargan chaînte lai mo. Que notre coq chante la mort.
Le Saivan Le Savant
Ma mai preüve Nanète, Mais ma pauvre Annette,
Vo z'an païdré lai téte Vous en perdrez la tête
De croire anssin é r'venan. De croire ainsi aux revenants.
Nanon Anne
Si j'y croi, ma queman, Si j'y crois, mais comment,
En velai dé béitize! En voilà des bêtises!
Que l'bon Dieu m'débaitize Que le Bon Dieu me débaptise
Si teu çai n'a pa vray! Si tout cela n'est pas vrai!
Y vo le di, çâ lai vritiay. Je vous le dis, c'est la vérité.
Vo z'ai q'neussu l'home d'lai Catiche, Vous avez connu l'homme de la Catherine,
Le vieû peire Dodiche, Le vieux père Dodiche,
Qu'aitô fortoû de son méteï, Qui était peigneur de chanvre de son métier,
Qu'a mo dan le moi d'faivreï? Qui est mort dans le mois de février?
Dô qu'lai leugne aitô neuvèle, Dès que la lune était nouvelle,
Ai l'eure de meneü, A l'heure de minuit,
An l'voyô lai neü, On le voyait la nuit,
Aiveu sai gran deumèle Avec sa grande houppelande
Et son gran boneü bian Et son grand bonnet blanc,
Alan anssin qu'en son vivan, Allant ainsi que de son vivant
Chaipiay sé poire et peu sé pome, Gauler ses poires et puis ses pommes,
Et s'en retonay, l'brave home, Et s'en retourner, le brave homme,
En enpotan sé fru, En emportant ses fruits,
San quezan ni san bru, Sans souci et sans bruit.
Sai fanne é breulai bé dé cierge Sa femme, a brûlé bien des cierges
Po qu'ai s'en ale au pairaidi. Pour qu'il s'en aille au paradis.
An n'le voi pu, Dieu soit b'ni! On ne le voit plus, Dieu soit béni!
Queneussé vo le pôreï d'lai Vierge? Connaissez-vous le poirier de la Vierge?
Le Saivan Le Savant
Non, jaima nun ne m'ai palai Non, jamais personne ne m'a parlé
D'ein pôreï de c'nom lai. D'un poirier de ce nom-là
Bon, anco dé lônerie Bon, encore des bêtises
D'laivouze de bouïe. De lavandières.
Nanon Anne
Ecouté qui vo conte: Ecoutez ce que je vous raconte:
Quan ein piéton rantre de neü, Quand un piéton rentre de nuit,
Lai moindre cheuze l'éponte, La moindre chose l'épouvante,
Ein boûsson l'y fa peü: Un buisson lui fait peur;
Po l'chemi qu'reste ai fâre, Pour le chemin qui reste à faire,
Quan t'ai marche teu sou, Quand il marche tout seul,
Du coraige ai n'en airé gâre, Du courage il n'en aura guère,
En s'sentant seugu d'ein lou. En se sentant suivi d'un loup...
Qu'ai dise eine prière, Qu'il dise une prière,
En cheizan ai genon, En tombant à genoux,
Et lé fanteûme s'en iron Et les fantômes s'en iront
Teurteü vite en feumeîre. Tous vite en fumée.
Lu, po se seuveni Lui, pour se souvenir
D'lai Vierge Mairie De la Vierge Marie
Que l'y saüve lai vie, Qui lui sauve la vie,
Ai piante le pôreï su l'bor du chemi. Il plante un poirier sur le bord du chemin.
Le Saivan Le Savant
Y sé curieu d'en saivoi daivantaige, Je suis curieux d'en savoir davantage.
Alon! Nanon, raiconté me, coraige! Allons, Anne, racontez-moi, courage!
Nanon Anne
Vo n'é jaima passai vé ke Narvaü? Vous n'êtes jamais passé vers le Narvaü?
Le Saivan Le Savant
Ma fi non, pa pu d'ai pié qu'ai chevaü. Ma foi non, pas plus à pied qu'à cheval.
Nanon Anne
An y chau bé... Câ t'au fon, d'eine combe, Peu importe... C'est au fond d'une combe,
Et peu dan ein androi, Et puis dans un endroit,
Ma si noi! Ma si noi! Mais si noir, mais si noir!
Qu'au gran jaima le jo n'y tombe. Qu'au grand jamais le jour n'y tombe.
Ca lai qu'an trauve ein vieu Cueuvan. C'est là qu'on trouve un vieux Couvent.
Po s'y foray nun ne s'azade, Pour y pénétrer, personne ne se hasarde,
Car çeü qu'en on lai gade, Car ceux qui en ont la garde
Son dé sorcié, dérevenan. Sont des sorciers, des revenants.
D'en épruchay, si çai vo toche, D'en approcher, si ça vous arrive,
Ai vo fau d'lai saü dan vo poche, Il vous faut du sel dans vos poches,
Et peu criay troi foi: Narvaü! Et puis crier trois fois: Narvaü!
Narvaü! Narvaü! Narvaü! Narvaü!
An n'étan pa lontan san qu'eine voi réponde, On n'attend pas longtemps sans qu'une voix réponde,
Qu'ai bé lar d'soti de l'aôte monde. Qui a bien l'air de sortir de l'autre monde.
En poche si tu n'aivô pa de saü, En poche, si tu n'avais pas de sel,
Tu n'dirô jaima: Narvaü! Narvaü! Tu ne dirais jamais: Narvaü!
Narvaü! Narvaü! Narvaü!
Le Saivan Le Savant
Teu çai, ça bé jeuli, ma çâ dé conte Tout ça, c'est bien joli, mais c'est des contes
Bon po lé igneuçan; Bon pour les sots;
Y veu bé qu'an lé raiconte Je veux bien qu'on les raconte
Por aimusé lé p'ti z'anfan. Pour amuser les petits enfants.
Ma po lé gran parsone, Mais pour les grandes personnes,
Que Dieu m'le padone! Que Dieu me pardonne!
Vo z'ai biâ dire, alé, Nanon, Vous avez beau dire, allez, Anne,
Cai n'a pu d'saison. Ca n'est plus de saison.
Vot'peire Dodiche? Votre père Claude?
Ca n'a qu'ein étraipoû, Ce n'est qu'une fripouille
Se meuquan dé poirou, Se moquant des peureux
Po reimpi son semoû Pour remplir son semoir
D'aiveu lé fru de lai Catiche. Avec les fruits de la Catherine.
Et peu vo feü foulteü? Et pour vos feux follets?
Ma ça d'lai feumeîre, Mais c'est de la fumée
Que so du cemeteîre, Qui sort du cimetière,
Et peu s'éleume dan lai neü. Et puis s'allume dans la nuit.
Dan vot'combe noire, Dans votre combe noire,
Ca l'écô qu'raipon, C'est l'écho qui répond,
Por ein retor du son, Par un retour du son,
Ca bé aizille ai croire. C'est bien facile à croire.
Nanon Anne
Queman, vo n' croié pa çai? Comment, vous ne croyez pas ça?
Ma vo z'éte ein âtée et vo seré dannai. Mais vous êtes un athée et vous serez damné.

 

Extrait de Contes, fables et légendes en idiome bourguignon du Dr H. Berthaut, par Jean-Luc Carmoi, Fontaine-lès-Dijon.

 

 

 

 


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