Au XIIIème siècle les habitants désiraient ériger une église au centre du bourg. Dès que la décision fut prise, on se mit à tirer des plans, puis truelles, marteaux et scies s'activèrent.
Mais, au lendemain du premier jour, on constata que les travaux effectués la veille avaient été détruits durant la nuit, et même qu'il ne restait rien des pierres et du bois amenés là. Le principal maçon, Paul, en était tout ennuyé. C'était un grand et fort garçon, bon ouvrier, et sérieux dans son travail. Il décida de recommencer l'opération, il se remit à la tâche avec ses compagnons, mais le lendemain, à nouveau, il ne resta plus trace de ce qu'ils avaient édifié quelques heures auparavant.
• Vous ne voyez donc pas que Dieu ne veut pas de cet emplacement, fit remarquer un vieil homme qui passait pour être un sage et dont on écoutait généralement les avis.
Mais Paul ne voulait rien entendre, et il persistait dans son entêtement. Il fit appel à des ouvriers supplémentaires et, un jour de beau temps, ils furent une quinzaine à travailler depuis l'aube jusqu'au coucher du soleil. Paul put alors se montrer satisfait: l'église élevait déjà des murs relativement hauts.
Il tint à passer la nuit suivante chez un ami qui habitait juste en face, et il demeura continuellement à la fenêtre, à épier tout mouvement anormal. Mais le Morvan est terre humide, et les brouillards y sont épais, notamment la nuit. Il ne put donc rien voir; comme il n'avait pas entendu de bruit, il pensa que rien ne s'était produit.
Aux premières lueurs du jour, il traversa la route et alla à l'église. Il n'y avait plus d'église, il n'y avait plus rien, qu'une aire ridiculement nue. Ni pierres, ni bois.
D'autres hommes l'avaient suivi, et notamment le vieux sage. Celui-ci se contenta de regarder Paul en silence, et Paul finit par dire:
• Cette fois je suis bien convaincu. Dieu ne veut pas d'église à Dun.
Pas d'église? Ce fut un concert de protestations indignées. Mais si, mais si, il nous en faut une!
• Et si nous allions la construire ailleurs, dans un autre endroit du village? Finit par proposer Paul.
• Dans un autre endroit? Ce sera pareil, dit quelqu'un.
• Bien sûr, ce sera pareil. A moins que...
Il eut un sourire.
• Il nous faudrait construire assez loin. Je vous propose ceci: je vais envoyer mon marteau en l'air, et nous bâtirons l'église à l'emplacement précis où il retombera.
Applaudissements des assistants, qui incitèrent vivement le maçon à faire ce qu'il suggérait.
Le marteau était lourd, mais Paul était un costaud. Il cracha dans sa main, prit son outil, tournoya un moment avec lui et hop! Il l'envoya dans les airs.
Le marteau disparut aux yeux de tous.
On ne le vit plus, on ne l'entendit pas retomber. Où s'était-il dirigé? Certains affirmèrent qu'il était allé du côté du nord, d'autres du midi, certains vers l'est ou l'ouest.
Pendant plusieurs semaines, on s'abstint de parler de cette affaire. L'aire du centre du village resta vide; Paul était vexé, mais il ne disait rien non plus, et la vie s'écoulait à Dun, sans églises pour recevoir les fidèles.
Un jour l'un des hommes du village surgit tout essoufflé sur la place.
• Il se passe une chose extraordinaire, dit-il à ceux qui, le voyant arriver, s'étaient rassemblés. Mon taureau avait disparu depuis hier et, ce matin, le cherchant partout dans le bois, je l'ai entendu mugir. Je suis allé dans la direction de ces cris et je l'ai trouvé agenouillé...
• Où est-ce? Demanda Paul.
• Là-haut en plein bois.
Tout le village se précipita pour le suivre. Ils marchèrent pendant trois bons quarts d'heure et finirent par découvrir un beau taureau noir agenouillé sur le sol. Une position bien curieuse pour un taureau...
On s'approcha. Paul écarta une patte de l'animal et s'écria:
• Mon marteau! C'est mon marteau Il était retombé ici!
Et tout le monde se mit à commenter la nouvelle. Les uns admiraient la force musculaire de Paul qui avait su envoyer l'outil aussi loin, les autres expliquaient que c'était là le jugement de Dieu, Dieu désirant que l'on bâtisse son temple ici même.
Ainsi fut fait. En moins d'un mois, Paul et ses compagnons construisirent une église, qui servit à la population de Dun.
Extrait de Contes et Légendes de Bourgogne , Henri Nicolas.
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